Les USA mettent fin à la neutralité du net

Le régulateur américain des télécoms a voté l’abrogation de la réglementation qui garantissait l’accès égal aux contenus en ligne. Le combat des partisans de la neutralité pourrait se poursuivre sur le plan judiciaire.

 

Le principe de « neutralité du net » est bien enterré aux Etats-Unis. La Commission fédérale des communications (FCC), le régulateur américain des télécoms, a voté jeudi par trois voix contre deux l’abrogation de la réglementation qui obligeait les fournisseurs d’accès internet (FAI) à traiter de la même manière tous les contenus passant dans leurs « tuyaux ».

Désormais, la FCC les autorise théoriquement à moduler la vitesse de débit internet à leur guise : les tenants de la « neutralité » craignent donc que ces opérateurs ne fassent payer plus cher pour un débit plus rapide, ou bloquent certains services leur faisant concurrence, comme la vidéo à la demande, la téléphonie par internet ou les moteurs de recherche.

Avec cette décision, « nous restaurons la liberté d’internet » et « nous aidons les consommateurs et la concurrence », a assuré jeudi le président de la FCC, Ajit Pai. Pour cet ancien employé de l’opérateur télécoms américain Verizon, nommé par le président républicain Donald Trump, le principe de la Net Neutrality, entériné en 2015 sous l’administration Obama, a « empêché l’innovation » et « était mauvais pour les clients ».

 

« Cadeau de Noël aux géants des télécoms »

Cette décision « ne va pas tuer la démocratie » ni signifier « la fin d’internet tel que nous le connaissons », a-t-il ajouté, faisant allusion aux arguments des tenants de la neutralité.

La FCC « donne les clés d’internet » à « une poignée d’entreprises multimilliardaires », a regretté pour sa part Mignon Clyburn, membre de la FCC qui a voté contre la décision.

Avec cette décision, les FAI « auront le droit de (…) favoriser le trafic d’entreprises (qui ont les moyens de payer) » et celui « de laisser toutes les autres sur une voie lente et cahoteuse », a insisté Jessica Rosenworcel, l’autre membre de la FCC (qui compte cinq membres) opposé à la décision.

Juste après le vote, le procureur général de New York, Eric Schneiderman, a annoncé son intention d’attaquer, avec d’autres Etats, la décision de la FCC, « coup dur porté aux consommateurs et à quiconque est attaché à un internet libre et ouvert ». Selon lui, « la FCC vient d’offrir leur cadeau de Noël en avance aux géants des télécoms ». Le sénateur démocrate Ed Markey espère pour sa part qu’une action des parlementaires puisse annuler cette décision.

 

Répercussion sur les coûts des abonnements

Les fournisseurs d’accès combattaient fermement la « neutralité du net », considérant que cette règle les assimile à des services publics et empêchent les investissements dans de nouveaux services comme les vidéoconférences, la télémédecine et les véhicules connectés qui ont besoin du haut débit.

Les gros FAI américains avaient d’autant plus d’intérêt à voir la fin de la « neutralité du net » qu’ils sont eux-mêmes créateurs de contenus et donc en concurrence avec des entreprises technologiques comme Netflix, Amazon ou Apple. ComCast possède par exemple NBCUniversal (chaînes de télé et studios). AT&T cherche de son côté à racheter le groupe Time Warner (qui possède des studios mais aussi des chaînes comme CNN ou HBO).

Et si les FAI imposent des frais supplémentaires aux entreprises qui fournissent du contenu gourmand en bande passante – comme les films ou les séries -, ils pourraient alors décider de répercuter cette hausse des coûts sur les abonnements.

De leur côté, les FAI promettent de gérer leur réseau de façon ouverte et transparente tandis que la FCC assure que les plaintes éventuelles seront traitées par une autre agence, la Commission fédérale de la concurrence (FTC), spécialisée dans la protection des consommateurs et les règles anti-monopole.

« Il est illusoire de penser que ces entreprises ont pu dépenser des millions en lobbying (en faveur du projet de la FCC) sans qu’elles aient l’intention d’utiliser leur puissance sur le marché pour récupérer ces sommes auprès des clients », a réagi Ed Black, du lobby des géants technologiques comme Google ou Facebook (Computer & Communications Industry Association).

Le débat sur la « neutralité du net » concerne indirectement de nombreux autres pays qui fondent leurs législations internet sur le modèle américain. Autant dire qu’il ne fait que commencer…

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